Dans les allées désertes du cimetière, une silhouette se dérobe à l’œil du visiteur. Dans la discrétion, Didier, jardinier qualifié du carré militaire du cimetière de Béthune exerce son métier depuis 26 ans. Sa motivation est saisissante : « Ce qui me passionne, c’est la vie ». Curieuse réponse pour un homme qui travaille seul, en silence, et en compagnie des morts depuis bientôt trois décennies. « M’occuper des fleurs est ma façon de rendre hommage aux morts ».
Formé à l’école d’horticulture de Genech, Didier a d’abord travaillé dans des jardins publics. Mais au désordre des parcs, il préfère la discipline des cimetières militaires. « Ce que j’aime, c’est la droiture du travail. Je préfère avoir des directives. Il faut que tout soit droit et rigoureux, j’aime ça. » Pour autant, la passion de l’Histoire ne l’a pas gagné. Si certains de ses collègues sont devenus des passionnés de la Grande guerre, lui se consacre uniquement à embellir les tombes de ses morts.
« Les fleurs sont à la stèle ce que l’écrin est au bijou »
« Les fleurs sont à la stèle ce que l’écrin est au bijou. On n’offrirait pas un bijou à une femme sans avoir pris soin de l’emballer. Pour les tombes, c’est la même chose. »
Les tombes s’alignent dans une symétrie parfaite et pas une feuille ne vient perturber la géométrie du paysage. Construit entre 1918 et 1928, le cimetière a une double fonction : une partie civile gérée par la mairie, et le carré militaire qui appartient à la Commonwealth World Graves Commission, une autorité chargée des sépultures des soldats morts pendant les deux guerres mondiales. C’est donc la couronne britannique qui finance l’entretien des lieux. « Ma directrice principale, c’est la reine d’Angleterre » plaisante Didier.
Derrière les rangées de stèles anglaises se dressent des tombes allemandes, indiennes, canadiennes. Et à chaque nationalité, sa particularité. Le jardinier lutte contre la détérioration des tombes allemandes, dont nombre de gravures sont devenus illisibles.
Selon Didier, la pierre allemande n’a pas été conçue pour durer. « Pour les Allemands, tout doit être gardé à l’état naturel. C’est tout le contraire de nous. Là-bas si un arbre meurt dans un coin du cimetière, on le gardera quand même. Ici, il sera taillé et enlevé immédiatement. » A l’occasion du centenaire, des travaux de rénovation auront lieu dans l’ensemble du cimetière. Une satisfaction pour Didier qui le réclame depuis longtemps.
Aucune distinction sociale pour les militaires morts au combat
Pour Didier, les stèles ne sont pas que des pierres: ce sont d’abord des hommes. Dans la carré militaire anglais, aucune distinction de grade ni de statut social. « Dans le cimetière, il y a aussi bien des lords que des simples soldats. Ils sont enterrés par date de décès. » Une disposition qui le touche profondément.
Pourtant, le fond du cimetière témoigne du fait que les hommes ne naissent et ne meurent pas égaux. Un terrain vague appartenant à la mairie de Béthune est dédié à l’enterrement des « indigents ». Quelques croix sont dispersées au-dessus d’une fosse commune d’environ 100 m2 séparées du reste du cimetière par un simple muret.
« Il y a plus de corps ici que dans mon cimetière tout entier » lâche Didier. Une situation qu’il essaie de changer depuis des années avec détermination. « Tous les 1er novembre, monsieur le Maire se rend dans mon cimetière et me renouvelle sa promesse d’investir de l’autre côté du mur. »
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