Casquette vissée sur la tête, Jean-Marie Lefebvre contemple les lieux. Autour de lui, dans la lueur d’un matin de mars printanier, s’étend le village de Bezonvaux, l’une des six communes « mortes pour la France » détruites pendant la Première Guerre mondiale. En 2001, c’est son équipe qui a débroussaillé et mis en valeur ce site historique. « C’était mon bébé ce village », déclare-t-il ému. A la retraite depuis deux mois, il a consacré une partie de sa vie à l’entretien de la forêt domaniale de Verdun et aux trésors qu’elle recèle.
« Ici, c’est Pompéi ! »
Avec son équipe, il a eu les mains libres pour remettre en état Bezonvaux. Pêle-mêle, ils y ont découvert pelles, pioches, serpettes, scie passe-partout, armes, voies ferrées et la partie verticale de l’ancienne croix du village. En débroussaillant ? « Non, c’est un de mes gars qui l’a trouvé en allant chier un coup. » Brut de décoffrage, Jean-Marie enchaîne anecdote sur anecdote. En marchant à travers les ruines, il tient à montrer le lit en fer qu’il a lui-même déterré et mis en exposition. Mais l’objet a disparu, sans doute volé. Jean-Marie cache difficilement sa tristesse. « À l’ONF, personne ne décide du sort des vestiges et des objets trouvés. Du coup, on entasse et les vols sont monnaie courante, regrette-t-il. À cause de ces indécisions, j’ai parfois déplacé quelques pierres et je n’aurai pas dû. Mais je ne suis pas archéologue après tout. »
Pas le temps de s’apitoyer que Jean-Marie embraye sur une autre découverte. Un enclos à cochon recouvert par la mousse, qu’il s’empresse d’arracher pour faire apparaître le sol en pierre. « Ici c’est Pompéi ! », s’enthousiasme-t-il. Au hasard d’un bosquet, il ramasse un obus, toujours en état de marche. « Les explosions sont quand même assez rares et souvent, le résultat de la connerie humaine : des fouilleurs imprudents ou des pseudos connaisseurs qui essaient de démonter les projectiles. »
Une vie liée à 14-18
Meusien de naissance et syndicaliste CFDT à l’ONF, Frederic Chiny a grandi avec la guerre 14-18. « Enfant, on s’échangeait des baïonnettes à l’école et on faisait péter dans des feux de bois les grenades que l’on trouvait, raconte-t-il. C’est en commençant à travailler que j’ai eu une réelle prise de conscience du poids de la guerre 14-18. » Comme beaucoup de gens du coin, son histoire familiale est liée à la Grande Guerre. Un jour, son grand-père fut pris sous une pluie d’obus lors d’un bombardement imprévu : il en sortit indemne. « Il n’a pas été blessé une seule fois en quatre ans. Si il avait dû y rester, ça aurait été ce jour-là. »
Les deux copains ont moult anecdotes à raconter sur le conflit et sur son empreinte dans le présent. Souvent, les touristes viennent à leur rencontre pour trouver des informations qui ne figurent pas sur les panneaux officiels. « Il y a vingt ans, les gens s’intéressaient plus à la stratégie des batailles. Maintenant nous avons plus de questions sur le quotidien des soldats, déclarent-ils à l’unisson. Par notre métier et en vivant ici, on a le devoir de ne pas dire trop de conneries. » Et chacun a sa spécialité : Frédéric est incollable sur les origines politiques de 14-18 tandis que Jean-Marie connaît la forêt comme sa poche. En attendant que Frédéric rejoigne Jean-Marie à la retraite, ils caressent même le rêve de devenir guides. « On pourrait ainsi sensibiliser le public au conflit et à ses répercussions. À notre échelle, on contribuerait à ce que cette sale guerre ne se reproduise plus jamais. »