Le travail de mémoire est-il une affaire exclusivement masculine ? A la nécropole de Notre-Dame de Lorette, une femme s’est vue refuser le titre de garde d’honneur en raison de son sexe.
La guerre a toujours été réputée pour être une affaire d’hommes. Cent ans après le premier conflit mondial, certains aspects du travail de mémoire sont encore fermés aux femmes. Devant le mémorial de Notre-Dame de Lorette, deux hommes veillent sur les lieux : ce sont deux gardes d’honneur de cette nécropole gigantesque. La fonction – honorifique – permet à des bénévoles d’assurer un service de garde du monument et de ses 40 000 tombes. Attachés à la mémoire et au passé de la région, ces gardes maintiennent le souvenir des morts pour la France, et principalement de ceux tombés sur la crête de Lorette en 14-18. Pour cela, il faut remplir trois conditions : être français, être majeur, et surtout, être un homme.
”Ce qui me manque, c’est une paire de couilles”
Carine Kumps a voulu braver les règles et a demandé à rejoindre la garde. Mais le titre n’étant pas ouvert aux représentantes de la gent féminine, elle doit se contenter d’un statut de simple adhérente. “Cela veut dire que je peux venir aux assemblées générales, mais seulement pour amener des tartes”, lâche-t-elle. Cette mère de famille est même allée contre l’avis de son père, lui qui est garde d’honneur, quand elle a decidé de faire sa demande. Passionnée par l’histoire de cette époque, la jeune femme explique que le mémorial a une résonance particulière avec le passé de ses aïeuls. Aussi souhaite-t-elle participer au travail de mémoire et à sa transmission.
“Ce qui me manque, ce n’est pas la motivation, mais une paire de couilles”, explique-t-elle. “Ce n’est pas normal qu’ils ne me laissent pas rendre cet hommage. Même si, pour eux, il ne s’agit pas d’un hommage, puisqu’une femme ne peut pas honorer correctement.” Carine avoue qu’elle se doutait de l’échec de sa démarche. “Mon but, c’était surtout de faire bouger les choses. J’aimerais que les questions commencent à être posées.”
“Pas un travail pour les femmes”
Mais pour Michel Haute, secrétaire général de l’association et président de la garde d’honneur, la question n’a pas lieu d’être. “Il n’y a jamais eu de femme garde d’honneur, les statuts ont été conçus comme ça”, explique-t-il. “Elles peuvent adhérer à l’association, mais pas devenir garde d’honneur.” Et il ne compte pas faire changer les choses tant qu’il sera en poste. “Ce n’est pas un travail pour les femmes”, argumente-t-il. “Je ne vois pas une femme monter la garde toute une journée. Et puis elles ont des enfants, et des problèmes que les hommes n’ont pas.” Le septuagénaire s’inquiète aussi des tenues vestimentaires féminines sur un lieu de deuil. “Cet été, il y avait déjà des étudiantes qui travaillaient en tant qu’agents de service, elles portaient des jupes à ras la culotte, et fumaient sans arrêt.”
Pour l’instant, les votes en assemblée générale le confortent dans son refus d’ouvrir l’activité à l’autre sexe. Pourtant, sur le plateau de Lorette, les gardes d’honneur se montrent plutôt ouverts sur cette question: “il y a bien des femmes qui sont parties se battre en Centrafrique. Je ne vois pas pourquoi elles ne pourraient pas intégrer notre équipe,” s’étonne René, garde d’honneur depuis 55 ans. Derrière lui, Paul renchérit: “On serait bien contents de voir des femmes travailler parmi nous. Il n’y a aucune raison qu’on reste seulement entre bonhommes.”
Michel Haute, lui, ironise: “Evidemment, ils aimeraient bien avoir des minettes avec eux.” En attendant que le niveau du débat s’élève quelque peu, certains suggèrent d’effacer le “Notre Dame” de Lorette, apparemment inapproprié.